MariKo Mori photographiée par Michael Lavine en 1996
Les premiers travaux plastiques de la jeune femme prennent à revers le machisme japonais. On a souvent entendu parler de la place étroite qu’occupait la femme dans la société japonaise. En dehors de la gestion du foyer, la femme n’a guère d’importance sociale – le Japon est en cela comparable à nombre de pays ou cultures. Son propos n’est pas d’opposer homme et femme dans une lutte pour le pouvoir mais de démontrer leur différences qui font leur complémentarité. Si les qualités sont différentes, leurs valeurs respectives sont les mêmes. Mariko Mori ne se reconnaît pas dans le «féminisme» des années 60 ou 70, même si elle admire ce qui a été fait. La coopération plutôt que la compétition.
La scène nocturne, photographiée à Tokyo, nous montre Mariko Mori en prostituée cyborg, plantée au milieu des passants. Attifée d'une combinaison argentée, d'une robe étriquée, d'une perruque et d'ongles écarlates, elle téléphone sur son cellulaire. Elle est l'incarnation de la déesse-séductrice directement issue des mangas. L'oeuvre illustre parfaitement le genre d'ambiguités présentes dans les "animés" japonais et dans toute l'oeuvre de Mariko Mori. Elle fait également référence au statut de la prostituée face aux hommes qui ne s'arrêtent sur elle que lorsqu'ils ont besoin de l'utiliser comme d'un objet.
Dans cette oeuvre photographique, l'artiste évoque une poupée-guerrière cyborg complètement idiote, les yeux grands ouverts, se servant de son sac à main comme d'un bouclier, postée à l'extérieur d'un magasin de jeux vidéo Akihabara. Elle nous invite ainsi à réfléchir sur les hommes qui sont clients de ce type d'endroit. Quelles images défilent sur leurs écrans quand ils rentrent chez eux et secouent bêtement leurs joysticks. Avec qui jouent-ils vraiment? Mori s'offre à nous comme une prostituée attendant qu'on lui demande "c'est combien?" pour une partie.
Nous retrouvons l'artiste dans une galerie marchande. Elle joue à présent un personnage de jeux vidéo devenu réel, arnachée d'un costume moulant de guerrière, de bottes noires, d'un casque et serrant dans ses mains une arme futuriste. Un garçon l'observe tandis qu'un autre continue de jouer, ignorant le danger dans son dos. Le message est on ne peut plus clair de la part d'une artiste qui se révolte contre les bêtises de la société de consommation occidentale.
Mori se met ici en scène sous les traits d'une employée de bureau japonaise, habillée d'une robe futuriste. Elle nous invite à réfléchir sur le rôle de la femme dans la société japonaise et à observer combien nous sommes bien souvent indifférents à ceux qui nous rendent service. Dans cette série de photos, l'employée de bureau prend sa revanche puisque c'est elle qui retient soudain toute notre attention.
Cette oeuvre se compose de 6 photographies sur panneaux et montre une scène de l'Ocean Dome, la plus grande plage intérieure au monde, située au Japon. Des sirènes (Mariko Mori elle-même) évoluent au milieu des baigneurs qui vaquent à des occupations balnéaires traditionnelles sur cette plage artificielle, avec ses vagues programmées et son soleil électrique. Bien qu'elles soient des êtres mythologiques, les sirènes ont ici presque l'air normales, au milieu de cet environnement synthétique qui imite les éléments naturels. Quoi de plus réel que des rochers en fibre de verre et des sirènes faites de chair et d'os?
Cette photographie de grandes dimensions est présentée dans un caisson lumineux (souvent utilisé dans la publicité). Elle est réalisée grâce à un système technologique en 3D très particulier qui confère une qualité lumineuse exceptionnelle à l'ensemble. L'oeuvre comprend également une chanson écrite et chantée par l'artiste qui augmente notre plaisir à l'appréhension de ce personnage aussi captivant qu'irréel.
Après s’être attaquée aux travers de la société machiste japonaise, Mariko Mori se tourne vite vers une œuvre caractérisée par des univers fantaisistes teintés de bouddhisme et de shintoïsme, voire de chamanisme primitif. Ce sont des univers utopiques, des univers présentant un âge d’or oublié ou fantasmé. Pourtant ces œuvres tiennent à leur optimisme, elles posent les bases d’une réflexion atemporel sur notre futur indissociable de notre présent et de notre passé – Beginning of the End fait partie de ces œuvres là. Mariko Mori se veut la prophétesse d’un tel Monde et son œuvre son symbole. Selon elle, le Monde souffre de l’hégémonie occidentale qui fait perdre à différentes civilisations leurs particularités et leur identité propre et développe ainsi l’individualisme à cause duquel chaque individu est un extraterrestre pour l’autre, créant l’incompréhension et le besoin de se sécuriser. Le retour au chamanisme est pour elle une porte de sortie possible, un retour aux valeurs fondamentales de la nature qui a donné naissance au Shintoïsme au Japon. Cependant, l'artiste qu'elle est ne se fait aucunement d’illusions sur la voie empruntée par notre société, qu'elle juge triste et inadaptée à long terme. Ce qu’elle dénonce ici est le capitalisme global, son souci étant de dépasser le fatalisme qui l’entoure et de s’interroger réellement sur ses effets désastreux sur l’écosystème, les relations humaines et nos conditions de vie. Il n’est pas question de retour dans le passé, mais de mieux comprendre le passé pour en tirer des leçons pour le futur.
L'installation de Mariko Mori, Nirvana comprend 4 gigantesques panneaux photographiques sur verre, une peinture acrylique, une sculpture en forme de lotus équipée d'un cable de fibre optique connecté à un dispositif solaire, et une vidéo en 3D. L'ensemble de l'installaion transmet au spectateur les états émotionnels, intellectuels et spirituels de l'Illumination décrite dans les enseignements bouddhistes. Nirvana est l'oeuvre la plus complexe et la plus expressive de la croyance de Mariko Mori : la possibilité que possèdent la haute technologie et la spiritualité d'Extrême Orient à créer une société plus positive pour l'avenir.
Entropy of love, 1996
Burning desire, 1997-98
Mirror of the water, 1996-98 (et détail)
Pureland, 1996-1998
Ces quatre photographies, Entropy of Love, Burning Desire, Mirror of Water et Pure Land, symbolisent respectivement les quatre forces élémentaires définies dans le bouddhisme : l'air, le feu, l'eau et la terre. Dans chacune des ces oeuvres mises en scène dans un lieu particulier mais bien réel (le Désert peint d'Arizona, le désert de Gobi en Asie, les grottes du Massif central en France, et la Mer morte en Israel) Mariko Mori se présente à nous sous la forme d'êtres plus ou moins surnaturels. Burning Desire est sans doute la photographie qui présente le plus d'intérêt dans cet ensemble : en plein désert de Gobi, Mariko Mori y est représentée quatre fois, en lévitation et s'embrasant, vêtue des habits traditionnels tibétains. Une cinquième divinité flotte au dessus du groupe, dispersant un halo de lumière aux couleurs de l'arc-en-ciel autour d'elle : c'est Mariko faite déesse, délivrant un message de foi et illustrant ainsi son soutien à la cause tibétaine.
Enlightenment Capsule, 1998
Cette oeuvre fait également partie du grand ensemble Nirvana. Il s'agit d'une sculpture en forme de fleur lotus, faite de cables de fibre optique placés à l'intérieur d'une capsule de verre (le système "Himawari" -"fleur de soleil"- inventé par le père de l'artiste, le professeur Key Mori). La capsule est connectée à un transmetteur solaire relié au toit du musée qui utilise la déviation du spectre chromatique pour séparer les rayons ultra-violets et infra-rouges des rayons solaires. La fleur de lotus semble flotter dans la capsule de verre. La lumière possède une fonction double, à la fois matérielle et métaphysique : les forces visibles et invisibles travaillent ensemble pour parvenir à la combinaison de la spiritualité et de la technologie, dans une vision typiquement japonaise.
Dans cette photographie, toute comme dans la vidéo Miko no Inori (The Shaman-Girl's Prayer) qui suivra, l'artiste fusionne le présent et le futur avec les traditions spirituelles anciennes. La scène, qui se déroule dans l'aéroport international ultra-moderne de Kansai au Japon, présente Mariko Mori sous la forme d'une étrange femme à l'allure mystique, directement débarquée du futur.
Le personnage de la "fille-shaman" déjà évoqué dans Last departure prend réellement vie dans cette vidéo. Elle fait tourner avec précaution une boule de cristal dans ses mains, tout en fixant le spectateur de son regard miroitant. Un enregistrement de Mori chantant une mélodie obsédante en japonais joue en fond sonore et accroît ainsi la beauté de cette étrange performance. En jouant ce rôle de shaman, être humain qui agit comme intermédiaire entre le monde terrestre et un royaume spirituel inconnu, Mariko Mori imprègne son techno-spectacle futuriste d'une sensibilité issue des croyances religieuses d'Extrême-Orient.
Mariko Mori se met une fois de plus en scène dans Kumano. Elle y incarne trois personnages : une messagère vêtue d'une peau de renard blanc, une déité qui effectue des rites Shinto, et une cyborg habillée d'une robe futuriste procédant à la traditionnelle Cérémonie du thé. Les rituels effectués ne sont cependant pas fidèles à la tradition. Qu'importe... L'artiste s'intéresse moins à reproduire exactement des actes lourds de sens qu'à évoquer le pouvoir de la transmission de l'expérience rituelle. L'iconographie religieuse traditionnelle ou légendaire, qui installe les personnages dans le passé, se mêle à des éléments futuristes (OVNI dans le ciel, temple high-tech rayonnant) qui illustre une fois de plus un monde idéalisé dans lequel passé, présent et futur coexistent en harmonie.
La vidéo de 11 minutes est enrichie d'une musique que l'artiste a composée et interprétée elle-même et nous entraîne dans un rêve où le futur devient présent mais où la tradition respectée est synonyme de sérénité et d'illumination.
Au Brooklyn Museum, l'artiste avait invité le public a assister à sa Cérémonie du thé : au cours d'un rituel très lent, au son d'une musique envoûtante, elle disposa au sol sur du sable blanc des pétales de fleurs et de petites boules de cristal colorées symbolisant le cosmos, faisant ainsi soudain du Brooklyn Museum le centre de l'univers. Elle procèda ensuite à la Cérémonie du thé à proprement parler, agenouillée dans une tente transparente puis disparût au mileu de la foule silencieuse.
Acrylique Lucite et c-print
Cette oeuvre qui a demandé deux ans de préparation à l'artiste est le résultat d'une étroite collaboration entre Japonais, Italiens et Américains au sein d'une même équipe. Le Temple de Mariko Mori s'inspire directement du Yumedono, le Temple du Rêve, construit en 739 au Japon près de la ville de Nara. Il en reprend la même structure architectonique octogonale et en possède la même fonction religieuse : communiquer entre l'intérieur et l'extérieur, entre le matériel et l'immatériel. Cet aspect hautement symbolique du dedans et du dehors est transcrit grâce à l'utilisation d'un verre spécial de fabrication japonaise, le verre dichroïque. Conçu à base de cristaux liquides, son opacité ou sa transparence varie selon l'angle de vue, ou selon la présence ou l'absence d'un être humain à proximité du Temple. L'artiste explique : "Je tenais à utiliser un verre dichroïque, parce que c'est un verre extrêmement changeant qui s'approche de l'image de notre propre conscience, qui change chaque seconde, à chaque instant". Des verres décoratifs de Murano achèvent de magnifier l'architecture.
L'aspect le plus intéressant de cette oeuvre est la projection d'une vidéo à l'intérieur même du Temple, qui utilise une nouvelle technologie de projection 3D, dite du "VisionDome", qui exprime mieux que tout la vision la plus intime de l'artiste. Dans un flux permanent de lumière (Mori rappelle à ce propos combien elle fut frappée par la lumière des cathédrales d'Europe qu'elle visita à 9 ans) se succèdent des images et des graphismes, symboles de la dialectique entre le physique et le métaphysique, axe central dans le travail de l'artiste.
Le projet en deux parties présentées conjointement au Centre National de la Photographie et au Centre Pompidou à Paris au printemps 2000 se veut "un appel à la paix pour les hommes du XXIe siècle". Ce travail consiste en 13 "segments", répartis en trois séries : Passé, Présent et Futur. Dans chacun, l'artiste évoque une ville ou un lieu symbolisant la civilisation passée (Teotihuacan, Angkor, Gizeh, Ur) et contemporaine, voire futuriste (photographies de lieux emblématiques de Londres, Tokyo, Hong Kong, Shangaï, New York, Berlin ou Paris-La Défense). Dans chacun de ces lieux l'artiste se met en scène, allongée dans une capsule de plexiglas légère et incongrue, comme enveloppée du sommeil de l’éternité, évoluant dans un environnement photographique de 360 degrés. Elle semble ainsi traverser le temps, l’espace, et nous interroger sur notre devenir.
La réalisation n’est pas seulement un happening et le projet est surtout plastique grâce à ses images vidéo et ses photographies (cybachrome sur aluminium). Pour la présentation de l'oeuvre, l'artiste introduit dans la salle d’exposition une capsule géante dans laquelle le public, en petit nombre, est invité à entrer. Une fois à l’intérieur, il découvre une série de trois panneaux présentant 13 séquences vidéo et sonores digitalisées et courbées sur les parois de la capsule à 360°. Ces séquences présentent à chaque fois Mariko Mori endormie en combinaison spatiale dans la capsule.
Œuvre d’une totale modernité – tant dans sa plastique aux images high-tech que dans sa production digne de l’industrie du cinéma – le projet explore différentes relations dans le temps et dans l’espace : les liens entre les mondes occidental et oriental et la domination culturelle de l’Occident, ceux, interdépendants, qui relient différents lieux de la planète, et qui les rendent si proches, les relations entre le passé, le présent et le futur, les vivants et les morts, la modernité et le monde traditionnel...
La série du Passé est constituée de quatre images de 100 x 500 x 7,5 cm chacune : Angkor, Cambodge, 2000, Teotihuacan, Mexique, 2000, La Paz, Bolivie, 2000, Gizeh, Egypte, 2000.
La série du Présent réunit également quatre images du même format : Time Square, New York, 1997, Shibuya, Tokyo, 1995, Picadilly Circus, Londres, 1997, Hong Kong, Chine, 2000.
La série du Futur propose cinq images de 100 x 400 x 7,5 cm chacune : La Défense, Paris, 1996, Shangaï, Chine, 1998, Docklands, Londres, 1997, Odaiba, Tokyo, 2000, Berlin, Allemagne, 2000.
Avec cette oeuvre ahurissante, sorte de gigantesque goutte d'eau en fibre de verre posée au-dessus du sol, Mariko Mori poursuit ses interrogations sur les relations entre l'individu et le cosmsos. Le projet Wave UFO a vu le jour après 3 ans de recherches. Wave UFO résume à lui seul le travail de Mariko Mori de ces dernières années. Sa forme dynamique se situe à mi-chemin entre une sculpture de grandes dimensions et une architecture biomorphe. Cette vision futuriste d'une oeuvre d'art à part entière offre aux visiteurs une expérience multiple où les perceptions physiques, mentales et esthétiques entrent en jeu. Wave UFO se veut un espace séduisant qui nous attire hors de la réalité quotidienne pour nous faire voyager vers un cosmos ésotérique. Cette oeuvre visionnaire associe l'art, la science, la performance, la musique et l'architecture dans une oeuvre d'art totale. Mariko Mori a mêlé dans le projet du Wave UFO les nouvelles technologies à des graphismes de synthèse et des projections vidéo, qui permettent de développer l'expérience artistique à son point culminant. Les visiteurs participent directement à la conception de l'artiste, celle de notre interconnection avec des mondes imaginaires. Après avoir monté un escalier de résine aux marches en forme de lys (seule voie d'accès), trois personnes à la fois peuvent prendre place dans la capsule située à l'intérieur de cette sculpture architecturale qui reprend les proportions d'une baleine (environ 5 x 11 x 5 mètres). Confortablement installés dans des fauteuils spongieux, les visiteurs entreprennent alors un voyage de 7 minutes grâce à une vidéo en deux parties projetée au plafond de la capsule.
La première partie, "Real Time Brain Wave" utilise directement les visiteurs. Les images projetées sur l'écran-dôme sont générées par une sorte de bio-réaction interactive qui lit les ondes des cerveaux des trois participants. Chacun est relié à des électrodes, qui lisent les ondes de son cerveau. L'information est instantanément transformée en images projetées, en concordance temporelle parfaite avec l'activité cérébrale : six cellules biomorphes représentent les lobes droit et gauche des cerveaux et une ligne ondulatoire évolue en fonction des mouvements faciaux comme les clignements de l'oeil. Cet instant de bio-réaction inclue l'expérience de la vision de la projection et l'interaction entre les trois participants. Les images changent alors de formes et de couleurs en fonction des types de cerveaux, montrant ainsi lequel des trois est le plus dominant. Les ondes Alpha (en bleu) indiquent un état de relaxation éveillée, les ondes Beta (en rose) illustrent un état d'alerte ou d'agitation alors que les ondes Theta (en jaune) indiquent que le participant est dans un état proche de celui du rêve. Lorsque deux cellules s'assemblent sur les graphismes, la "cohérence" entre les deux lobes du cerveau est alors visible. Les fonctions mentales telles que la capacité de penser dans une langue étrangère ou de résoudre des problèmes mathématiques transforment immédiatement les caractéristiques des images.
La seconde partie de la projection, "Connected World," relie l'expérience individuelle à l'univers à travers une séquence graphique animée, réalisée grâce à une série de toiles peintes par Mariko Mori. Les formes colorées abstraites évoluent lentement comme des cellules ou des structures moléculaires, créant ainsi un monde fantastique primordial. Avece cette séquence, Mori déplace le visiteur du niveau de bio-réaction vers ce qu'elle décrit comme "une conscience plus profonde dans laquelle l'individu et l'univers sont en interconnection", principe bouddhiste par excellence. Le but est de transmettre au public la vision d'un monde neuf, dans lequel l'homme aurait su franchir toutes les barrières culturelles. En écho à la vision de Mariko Mori, le Wave UFO se veut l'interprète d'un monde où les êtres humains forment une collectivité unie ayant su transcender les différences culturelles et les frontières, dans une évolution positive et créative.